21/10/2005

Andreas Gursky

Photographe né en 1955 à Leipzig, formé dans des écoles prestigieuses à une créativité dans la lignée de celle du Bauhaus. Son travail sur de très grands formats s'attache à dépeindre une certaine dialectique, la dualité entre le gigantesque et le minuscule, l'impersonnel et le personnel, le lointain et le proche...Dans des compositions rigoureusement simplifiées, les lignes pures des constructions se trouvent en contraste violent avec le grouillement, la masse compacte des hommes rendus anonymes, déshumanisés par le cadrage.
(cliquez sur les photos pour les agrandir)




20/10/2005

Mon chien Stupide

Un roman de John Fante (1909/1983)Fils d’immigrant italien né en 1909 il commence très jeune à écrire notamment pour le magazine « American Mercury » dirigé par H.L.Mencken avec qui il se liera vite d’amitié. En 1933 son premier roman « La route de Los Angeles » a du mal à se faire éditer, et ce n’est que 5 ans plus tard que sortira « Bandini ». De 35 à 66 il travaille à l’écriture de scénarii à Hollywood. Dans ses romans on retrouve souvent sa propre histoire d’immigré italien, ses vagabondages à Hollywood , sa famille…la difficulté de l’écriture.
Mon chien stupide raconte l’histoire d’un scénariste qui découvre un soir d’orage un chien énorme couché sur sa pelouse. La famille horrifiée par ce chien dégoûtant presse le narrateur de s’en débarrasser le plus tôt possible. Mais l’homme va se découvrir une passion soudaine pour le chien.Un livre cynique, drôle et ironique.
Extrait :« Aussitôt mon cœur s’est emballé, et j’ai compris que cet affrontement était ma seule raison d’amener Stupide à la plage. J’ai regardé Jamie. Son visage était congestionné, ses yeux scintillaient. Le seul de nous trois qui n’était pas conscient de la menace imminente était Stupide. Apparemment, son odorat était aussi médiocre que sa vue, car il plastronnait sans voir Rommel, sa grande langue battant ses babines, un sourire béat sur son visage d’ours.Rommel avançait d’un pas furtif et menaçant, la queue tendue à l’horizontale, le poil légèrement hérissé. Brusquement, il a lâché un grognement terrifiant qui a mis fin aux jappements et autres aboiements le long de la rue. Le roi avait parlé, un silence angoissé régnait. Stupide a dressé les oreilles quand ses yeux ont découvert Rommel à trente mètres devant lui. Il a bondi en avant pour nous faire lâcher son collier, et nous l’avons retenu quelques secondes avant de le libérer. Il ne s’est pas accroupi comme son rival teuton. Non, il a marché vers la bataille la tête haute, le panache de sa queue fournie oscillant comme un drapeau au-dessus de son arrière train.J’ai eu l’impression d’assister à un duel dans l’Ouest sauvage. Jamie léchait ses lèvres. Mon cœur battait la chamade. Nous nous sommes arrêtés pour regarder.Rommel a frappé le premier, enfonçant profondément ses crocs dans la fourrure de la gorge de Stupide. Autant mordre un matelas. Stupide s’est libéré, dressé sur ses pattes arrière, tel un ours, utilisant ses pattes avant pour tenir le Teuton à distance. Rommel aussi s’est dressé sur ses pattes arrières ; gueule contre gueule, ils ont essayé de se mordre[…]Il a frappé plusieurs fois , mais sans pouvoir s’accrocher. A ma grande surprise, Stupide ne mordait pas. Il grondait, ses mâchoires claquaient, il rugissait pour égaler les rugissements de Rommel, mais de toute évidence il voulait seulement se battre, et pas tuer. Il était de la même taille que Rommel, mais son poitrail était plus puissant et ses pattes frappaient comme des massues.Après une demi-douzaine de charges, le match nul semblait inévitable, et il y eu une pause momentanée dont les chiens ont profité pour se jauger. L’alerte Rommel était immobile comme une statue tandis que Stupide s’approchait de lui et commençait à décrire des cercles autour du berger allemand. Rommel observait cette manœuvre d’un air soupçonneux, les oreilles dressées. Selon toutes les règles du combat de chiens classique, on aurait dû s’en tenir à un match nul, les deux animaux regagnant leurs pénates respectifs avec leur honneur intact.Mais pas Stupide. Vers la fin du deuxième cercle, il a soudain levé ses pattes vers le dos de Rommel. Touché ! C’était un coup fantastique, sans précédent, osé, humiliant et si peu orthodoxe que Rommel s’est figé sur place, incrédule. On eût dit que Stupide préférait batifoler plutôt que lutter ; ça a jeté Rommel, ce noble chien qui croyait au fair-play, dans une confusion terrible.Alors Stupide a révélé son but incroyable : il a dégainé son glaive orange en bondissant sur le dos de Rommel ; tel un ours, il a immobilisé Rommel de ses quatre pattes puissantes, puis entrepris de mettre son glaive au chaud. Quelle finesse ! Quelle astuce ! J’étais enchanté. Dieu quel chien !Grondant de dégoût, Rommel se débattait pour échapper à cet assaut obscène, son cou se tordait pour atteindre la gorge de Stupide, son arrière train se plaquait au sol pour échapper aux coups de glaive. Il savait maintenant que son adversaire était un monstre pervers à l’esprit dépravé, et il se tordait en tous sens avec l’énergie du désespoir. Enfin libre, il s’est éloigné furtivement, la queue basse pour protéger ses parties. Stupide gambadait autour de lui pendant que Rommel battait en retraite vers sa pelouse où il s’est couché en montrant les crocs. Il y avait de l’écœurement et du dégoût dans le gémissement qui est monté de sa gorge : il ne voulait plus entendre parler de cet adversaire révoltant, trop répugnant pour qu’on l’attaque.Il était battu, écrasé. Il avait jeté l’éponge.« Bon dieu ! » j’ai fait en m’agenouillant pour serrer le cou de Stupide entre mes bras.« Oh Jamie ! Tu as vu un peu notre Stupide ! »Jamie avait saisi son collier.« Eloignons le avant que ça ne recommence. »« ca ne recommencera jamais. Rommel est fini, ratiboisé. Regarde-le ! »Rommel remontait l’allée de Kunz vers le garage, la queue entre les jambes.« Partons », a dit Jamie.« On le garde. »« Impossible. Tu as promis à maman. »« C’est mon chien, ma maison, ma décision. »« Mais il n’est pas à toi »« Il le sera. »« C’est une source d’ennuis. Il est cinglé. »« C’est un grand lutteur. Il gagne sans donner le moindre coup à son adversaire. »« C’est pas un lutteur, Papa. C’est un violeur. »« On le garde »« Dis moi pourquoi. »« Je ne suis pas obligé de tout te dire ». »

14/10/2005

Récit d’un branleur

Un roman de Samuel Benchetrit.
Roman Stern aime trois choses dans la vie : glander, manger de l’onglet à l’échalote, et bien entendu la masturbation qui l’occupa durant toute son adolescence, et dix minutes par jour ensuite. Du travail il n’en cherche pas « on m’avait dit qu’il était impossible d’en trouver, alors je n’avais pas insisté ». Tout pourrait être parfait pour Roman, mais une chose cloche avec lui : « les dingues et les dépressifs du globe semblent l’avoir choisi comme confident exclusif. Au comptoir d’un café, dans la rue ou sous un Abribus…A chaque fois, le jeune homme devient la cible privilégiée de tous ceux qui ont besoin de se plaindre. Et roman ne s’emporte jamais. Il a toujours été comme ça. Plutôt spectateur qu’acteur, docile, adepte des salles obscures et du repli sur soi. Jusqu’au jour où son alcoolique de tante lui lègue un caniche blanc accompagné d’un joli pactole ! Un coup du sort vite transformé en coup fumant : en créant « la société des plaintes », Roman devient écouteur professionnel sans perdre de vue l’essentiel : dans la vie, on ne fait que passer et l’onglet à l’échalote se déguste bien chaud… ». Un livre drôle et cynique que je conseille à tous les glandeurs, à tous les « écouteurs ».

Extrait :« J’ aurais jamais dû prendre un café après mon onglet froid. J’étais assis dans un wagon du métro et mon ventre était assis sur la banquette d’à côté.En général j’étais assez triste quand je rentrais chez moi. Comme quelqu’un qui retourne à l’hôpital. Mon appartement me faisait penser à un hospice tant il n’inspirait que le passage. Dès qu’on franchissait la porte, on était pris d’une bouffée d’amertume. On se demandait combien de vieux y étaient mort. Dans la salle d’eau on prenait des douches de mélancolie. Dans la cuisine on grignotait de la nostalgie. Et même dans le noir, il restait toujours cette odeur pour me rappeler comme j’étais pauvre, feignant et sale.J’avais été une fois à une réunion de locataires dans la cave de l’immeuble. Même les cafards étaient venus se plaindre. Et une fois de plus ça n’avait pas raté. C’est à moi que chacun des habitants avait raconté ses misères quotidiennes. Le manque de sécurité. La saleté. Le chauffage pas assez chaud. Le bruit de la rue. Le bruit des gens. La porte d’entrée qui claque trop fort. Le digicode aux chiffres trop compliqués.Moi je savais ce qui les dérangeait surtout. C’était le bruit de leurs entrailles. Le bruit du pet de leurs femmes qu’ils ne supportaient plus d’entendre au beau milieu de la nuit. Le bruit de leurs cheveux se cassant de vieillesse et de ne plus en pouvoir de pousser toujours. Et le voisin de dessous ne supportait plus d’entendre gratter le chien du dessus, alors il a dit qu’une de ces nuits il monterait pour tuer le chien d’un coup de douze. Et le propriétaire du chien a répondu qu’il descendrait lui égorger toute sa famille après leur avoir fait manger le clébard tout entier.La vieille peau du premier en avait marre de confisquer les ballons des gosses qui jouaient dans la cour. Elle disait qu’on pouvait casser des vitres, la dame qui a pas hésité à balancer tout ce qu’il y avait de juif dans l’immeuble voilà quelques années. Et de casser des vitres, c’était plus grave que d’envoyer au feu une race se faire exterminer.Seul mon voisin de palier était absent le jour de la réunion. Il s’appelait M. Pigeon. Son nom il l’avait gravé au couteau sur sa porte. Il avait pas mis Monsieur. Juste PIGEON. Comme ça, sans autres indications.Au début je croyais qu’il vivait avec Mme Pigeon parce que je l’entendais parler toute la journée. Mais plus tard la collabo du premier m’a raconté que c’était avec ses cafards qu’il s’entretenait, et que Mme Pigeon elle s’était tirée une nuit.M. Pigeon disait que les cafards n’étaient pas difficiles vu qu’ils n’hésitaient pas à habiter dans des endroits très sales. Et que si un jour ils devenaient un peuple cultivé et capable de dépenser de l’argent, tous ces enculés de propriétaires n’auraient plus de problème pour louer leurs apparts minables.M. Pigeon aimait bien les cafards et haïssait les hommes. Il ne sortait jamais de chez lui. Juste de temps en temps, je le retrouvais sur le palier, accoudé à la rampe d’escalier, torse nu et le cul enveloppé d’une serpillière.Il m’avait demandé de lui faire deux trois courses et puis c’était vite devenu une habitude.Tous les deux jours, j’allais lui acheter quatre paquets de cigarettes brunes, un sac de frites surgelées, une boîte de bâtonnets Colin Igloo, deux litres de vin rouge et une revue porno. Et qu’un jour il y verrait Mme Pigeon en train de tailler une pipe ou de se faire prendre à quatre pattes. Et que ça serait sa revanche. Qu’il en finirait pas de se branler dessus. Que, de foutre, il en recouvrirait toute sa femme entière.Il récupérait ses courses, envoyait une ou deux saloperies sur Mme Pigeon et puis fermait sa porte. Il ne me payait jamais. Et comme je ne lui demandais rien, il avait décidait que ses cafards et lui étaient mes invités.Ermite ou pas, M. Pigeon avait vite fait savoir aux autres locataires qu’il tenait un gentil petit gars serviable comme voisin de palier. Et rapidement je me suis tapé toutes les commissions de l’immeuble. Le pain de la collabo. Le journal du propriétaire du chien. Et même les tampons de la femme qui pétait. A chaque fois que je venais leur apporter leurs courses, ils m’invitaient une bonne heure chez eux pour me donner des nouvelles de leur vie de merde.
Pendant que je les entendais déblatérer, je m’inventais des poésies dans ma tête. Courtes ou longues suivant la durée des lamentations. Et quand c’était vraiment à mourir, je faisais tout en alexandrins. Ensuite je me récitais mes vers dans les escaliers pour ne pas les oublier le temps que j’arrive chez moi . Et toute la nuit je les recopiais sur un grand cahier que j’avais titré : « L’ESPRIT DE L’ENNUI ».
Peut-être qu’un jour mes poésies seraient publiées. Certainement pas de mon vivant car j’étais bien trop feignant pour aller démarcher qui que ce soit. Non, un type aurait découvert mon cahier dans les décombres de l’immeuble qui se serait écroulé sous le poids de la saleté. Et ce type se serait cassé le cul pour qu’on honore enfin mon génie inconnu. »

04/10/2005

Traité d’injurologie de Robert Edouard

Un petit livre qui s’intéresse à l’injure, et à l’art de bien injurier son prochain. En voici donc un petit extrait, où l’auteur nous propose de décortiquer les mécanismes de ce qu’il appelle le chapelet d’injure, tradition qui selon lui a tendance à se perdre au profit d’injures brèves composées de trois à cinq lettres.
Petit cours donc :
« Le chapelet d’injures de forme classique se décompose comme suit :
1. Interpellation, se subdivisant parfois elle-même en :
a) Introduction : Non mais dis donc...
b) Désignation de l’intéressé : …espèce de gueule de raie…
c) Localisation de celui-ci ou précision pour lui permettre de se reconnaître : …Oui, toi, la grande andouille qui n’a pas une tête à avoir inventé le tiercé…

2. Exposé des motifs
…Ca bouscule le pauvre monde et ça ne s’excuse même pas
…Où est-ce que tu as été élevé ? Chez les cochons ou chez les oies ?
…Où est-ce que tu te crois,eh, patate…

3. Ce qu’il est
…Saleté de fumier de chien galeux
…Vomissure, raclure, pourriture…

4. la question qu’on se pose à son sujet
…Qu’est ce qui m’a foutu une pareille tête de lard ?…

5. Le conseil qu’on lui donne.
…Cache-toi, eh pas beau, face moche, trouduc…

6. Refus de mêler la famille à une affaire strictement personnelle. (N.B. L’usage veut que l’on fasse successivement allusion à la mère, au père, à la sœur, à l’épouse ; aux grand-parents ou aux enfants selon l’âge du destinataire)
…Fils de pute, enfant de salaud
…Est-ce que je te demande combien ta frangine a fait de clients hier à la Madeleine et si ta femme a le cul folâtre ?
…Moi je m’en tamponne, pauvre con, de tes histoires de famille
…Ton grand-père peut se coincer les prunes dans les ressorts du sommier
…Et ta grand-mère pleurnicher qu’elle n’a plus rien à se mettre dans la tabatière
…Ce n’est pas ça qui m’empêchera e dormir…

7. L’espoir qu’il tiendra compte de notre discrétion.
…Alors viens pas me casser les roubignolles…

8. Ce qu’on devrait lui faire.
…Tu mériterais que je te colle mon pied dans les fesses…

9. Mais considérant que
…des enfoirés de ton espèce, ça ne vaut même pas qu’on se salisse les mains…

10. Ce que nous allons faire
…Tiens je préfère encore passer en me bouchant le nez…

11. Invitation à s’éloigner
…Allez, du vent, eh, limace ! loquedu ! mal torché !…

12. Suggestion finale
…Va te faire foutre si tu trouves un amateur qui n’est pas trop dégoûté !

c’est à dessein que nous avons choisi un exemple ne comportant qu’une succession d’expressions banales et dépourvues de toute envolée lyrique. On pourra mieux percevoir ainsi le mécanisme de cette technique particulière.Les divers éléments de ce chapelet sont composés de courtes phrases qu’on s’entend lancer et qu’on lance soi-même quotidiennement. Mais on ne saurait contester que leur enchaînement confère à l’ensemble une originalité et des résonances nouvelles. Nous n’ignorons pas le rythme accéléré de la vie démente que nous menons nous ne laisse guère le temps d’échanger, au hasard des rencontres, des discours de cette importance. N’oublions pas , en effet, que la courtoisie la plus élémentaire exige que l’on écoute la réponse de l’interlocuteur sans manifester une trop visible impatience de prendre congé.Aussi conseillons nous de ne réciter ce grand chapelet qu’en certaines périodes de l’année où l’on dispose de quelques loisirs (week-end de Noël, de Pâques, de Pentecôte ; congés payés, etc.).

En temps normal, on se contentera du petit chapelet, formule moins complète, certes, mais qui (de conception moins rigide) permet aussi de belles réussites et cnvient mieux sans doute aux gens pressés que nous sommes.

Autre extrait.
« L’indice de virulence. Esquisse d’un barème à l’intention de MM. Les magistrats. Nous sommes en mesure de donner ici quelques exemples fondés sur les réactions que nous avons observées (ou sur les impressions que nous avons personnellement ressenties) au cours des expériences méthodiques que nous poursuivons depuis plusieurs années sur le degrés de nuisance des injures les plus usuelles.
Fripouille : 2
Petite fripouille : 4
Con : 3
Pauvre con : 7
Vaurien : 2
Moins que rien : 1
Zéro : 3
Va te faire voir : 2
Vieux salaud : 5
Vieille salope (à une femme) : 6
(à un homme) : 10
Merdeux : 3
Paquet de merde : 8
Pourriture : 6
Vieux pourri : 8
Tête de lard : 3
Tête de nœud : 5
Salopard : 2
Grand malpropre : 4
Balayette : 3
Serpillière : 10
Vieux sagouin : 2
Vieux macaque : 5
Lèche-cul : 4
Lèche-bottes : 6
Sans-couilles : 7
Eburné : 1
Enculé : 15
Idiot : 2
Abruti : 4

Le coefficient indiqué est surtout valable pour une injure isolée, lancée sous forme d’apostrophe spontanée.Quand elle est intégrée dans une phrase, cet indice peut se trouver sensiblement modifié, notamment si la phrase en question comporte plusieurs injures (par exemple dans un chapelet). Le cas n’est pas rare où le coefficient de chaque injure doive alors être non pas additionné mais multiplié.Mais il peut aussi arriver que, par suite d’une technique défectueuse, l’accumulation atténue au contraire la virulence de chacune des injures employées et qu’elle amortisse la puissance globale en éparpillant les points d’impact. Les débutants devront songer à cet écueil, eux qui (avec l’ardeur désordonnée des néophytes) engagent souvent le combat armés de vocatifs d’un indice trop élevé pour n’être pas dans la pénible obligation de régresser si la rencontre se prolonge.

A titre indicatif, signalons que :AU DESSOUS DE L’INDICE 5 Il est incorrect de riposter par une paire de claques. Et déconseillé de répliquer par une injure d’un I.V (indice de virulence) supérieur à 7. DE 5 A 8 A manier avec prudence, surtout quand (faute d’expérience) on ne sait pas encore très bien choisir ses adversaires. Le simple haussement d’épaule ou : « Vous en êtes un autre » ne sauraient être tenus pour des ripostes suffisantes. Une ou plusieurs injures d’un I.V. voisin de 10 constitue le minimum généralement admis. 9 ET AU-DESSUS A n’employer que si l’on a la certitude de posséder un avantage physique indiscutable. Si ce n’est pas le cas, s’assurer l’assistance d’un complice solidement charpenté. Peut toutefois (jusqu’à 10+5 inclus) être utilisé au téléphone ou derrière une cloison solide.
10²…

En voiture :
Ne formuler qu’après avoir fait chauffer le moteur.En bateau : Emploi strictement limité au moment précis où la personne visée ayant quitté le bord, l’officier de pont donne l’ordre d’amener la passerelle…En chemin de fer : Exclusivement entre le coup de sifflet du chef de gare et le démarrage du train (plus tôt, serait téméraire ; plus tardivement, manquerait d ‘élégance et d’efficacité)Règle générale : Injures réservées à des gens à qui on désire laisser un souvenir durable, et qu’on ne risque pas de rencontrer au coin d’une rue avant cinq ou six ans.Peuvent fournir un moyen radical de s’offrir quelques semaines dans une maison de repos ou, en choisissant bien le destinataire, une façon économique mais douloureuse, d’en finir avec la vie. »

28/09/2005

Comment retrouver l’idiot du village à la télé

Texte d’Umberto Eco issu du recueil de textes:
« Comment voyager avec un saumon ».
« Quid du théâtre comique dans une civilisation qui a décidé de se fonder sur le respect de la différence ? Par tradition, le comique a toujours spéculé sur l’estropié, l’aveugle, le bègue, le nain, l’idiot, le déviant, la profession jugée infamante ou l’ethnie tenue pour inférieure.Eh bien tout cela est devenu tabou. Aujourd’hui, ne vous risquez plus à imiter un inoffensif paria, c’est une vexation ; quant à Molière « himself », il ne pourrait plus ironiser sur les médecins sans provoquer aussitôt le tollé de la corporation entière, liguée contre ces allégations diffamatoires. Plus question de déguster un « nègre en chemise » ni de parler « petit nègre » à une « tête de turc » qui serait « saoul comme un polonais ».Aussi, la satire télévisée risquait-elle de n’avoir plus pour objet que les autres émissions télé : par une sorte d’accord tacite entre chaînes, chaque programme semblait n’être conçu que pour inspirer la satire de l’autre et le seul comique autorisé devenait celui du « zapping ». Ou alors (puisque ce sont traditionnellement les groupes se sentant forts qui osent se moquer d’eux mêmes) l’auto flagellation était en passe d’être la manifestation du pouvoir. Résultat, la pratique du comique dressait une nouvelle barrière de classe : si jadis on reconnaissait les maîtres à ce qu’ils se permettaient de brocarder les esclaves, aujourd’hui ce serait les esclaves que l’on reconnaîtrait comme ayant seuls le droit de railler les maîtres.Mais on a beau ridiculiser le nez de De Gaulle, les rides d’Agnelli ou les canines de Mitterrand, on pressent que ces derniers resteront toujours plus puissants que ceux qui les moquent ; or, le comique est cruel, impitoyable par vocation, il veut un idiot du village qui soit vraiment débile, afin que, en riant de lui, nous puissions affirmer notre supériorité sur son incurable déficience.Il fallait une solution, on la trouva. Impossible de caricaturer l’idiot du village, ce serait antidémocratique. Soit. En revanche, il est tout à fait démocratique de lui donner la parole, de l’inviter à se présenter lui-même, en direct (ou à la première personne , ainsi que disent justement les idiots du village). Comme dans les vrais villages, on saute la médiation de la représentation artistique. On ne rit pas de l’auteur qui imite l’ivrogne, on paie directement à boire à l’alcoolo, et on rit de sa dépravation.Le tour est joué. Il suffisait de se rappeler que, entre autres éminentes qualités, l’idiot du village est exhibitionniste, mais surtout que nombreux sont ceux qui, pour satisfaire leur propre exhibitionnisme, sont prêts à endosser le rôle d’idiot du village. Jadis, si, en pleine crise conjugale, un étranger avait étalé au grand jour leur lamentables querelles, les époux auraient intenté un procès en diffamation, au nom du bon vieux dicton qui veut qu’on lave son linge sale en famille. Mais lorsque le couple en vient à accepter voire à solliciter la faveur de représenter en public sa sordide histoire, qui a encore le droit de parler de morale ?Et voici l’admirable inversion de paradigme à laquelle nous assistons : exit le personnage du comique brocardant le débile inoffensif, starisation du débile en personne, tout heureux d’exhiber sa propre débilité. Tout le monde est content : le gogol qui s’affiche, la chaîne qui fait du spectacle sans avoir à rétribuer un acteur, et nous qui pouvons à nouveau rire de la stupidité d’autrui, en satisfaisant notre sadisme.Nos écrans pullulent désormais d’analphabètes fiers de leur baragouin, d’homosexuels se plaisant à traiter de « vieille pédale » leurs homologues, d’ensorceleuses sur le retour arborant leurs charmes décatis, de chanteurs experts en couacs, de bas-bleus affirmant « l’oblitération palingénésique du subconscient humain », de cocus contents, de savants fous, de génies incompris, d’écrivains publiants à compte d’auteur, de journalistes donnant des baffes et de présentateurs les recevant, heureux de penser que l’épicier du coin en parlera le lendemain.Si l’idiot du village s’exhibe en jubilant, nous pouvons rire sans remords. Rire du débile est redevenu « politically correct ». »

19/09/2005

Sur la route de Jack Kerouac

(Ou comment donner envie à David de lire ce roman.)Pour ma part je l’ai lu adolescente. J’étais fan des Doors, et des écrits de Jim Morrison qui était lui même fan d’un certain nombre d’auteurs, dont Jack Kerouac avec notamment son roman « sur la route ». Je l’ai donc lu. Et je dois avouer que ce roman va bien avec l’adolescence et la crise identitaire que l’on traverse généralement à cette époque là, accompagné d’un rejet de l’autorité parentale ou autre. Et « Sur la route » est selon moi une quête de soi, une quête identitaire, un désir de liberté sans entrave. Et c’est à travers ça que toute une génération s’est reconnue, elle se fera appeler la «beat generation ». Le mot « beat » signifie « exténué, foutu, fatigué, à bout de souffle », mais il désignait aussi les « travellers » qui voyageaient clandestinement dans les wagons de marchandise. Les jazzmen y ont prêté un autre sens : « le beat est une manière de traverser la vie ». Sur la route pour moi c’est ça : comment des jeunes gens cherchent à traverser leur vie en traversant le pays…essayer de se trouver, de trouver le « it », cette transe que recherchent les musiciens de jazz : « un tumulte de notes et le saxo piqua le « it » et tout le monde comprit qu’il l’avait piqué. Dean se prenait la tête à deux mains dans la foule et c’était une foule en délire. Ils étaient tous entrain d’exciter le saxo à tenir le « it », et à le garder avec des cris et des yeux furibonds et, accroupi, il se relevait et de nouveau fléchissait les cuisses avec son instrument, bouclant la boucle d’un cri limpide au-dessus de la mêlée. ». Et c’est ce « it » que Kerouac a du trouver en écrivant ce livre, preuve en est l’aspect sous lequel le manuscrit apparaît : un rouleau de papier de 35 mètres écrit en 1951(jugé impraticable par l’éditeur qui le forcera à faire des découpes )ininterrompu, sans virgules, et uniquement quelques points. Il a écrit son livre comme un jazzman aurait « piqué le « it » ». Mais sur la route c’est aussi l’histoire d’une amitié, une quête de la fraternité entre Sal Paradise, (le nom vient d’un vers d’Allan Ginsberg où il aurait fallu lire « sad paradise » triste paradis) jeune écrivain, et Dean Moriarty, qui offre une intelligence brute, pure, une intelligence innée qui contraste avec celle de Sal bien entendu, qui lui est admiratif…Dean est son idole, « un clochard céleste ». Voyage, galères d’argent, de nourriture, de boisson, drogues, mauvais trips, recherche de soi, jazz, bringues, démerdes et embrouilles, amour des femmes, recherche de la femme, désillusions, illusions… « Sur la route » c’est tout ça, et bien plus encore si vous le lisez.
« Un gars de l’Ouest, de la race solaire, tel était Dean. Ma tante avait beau me mettre en garde contre les histoires que j’aurais avec lui , j’allais entendre l’appel d’une vie neuve, voir un horizon neuf, me fier à tout ça en pleine jeunesse ; et si je devais avoir quelques ennuis, si même Dean devait ne plus vouloir de moi pour copain, et me laisser tomber, comme il le ferait plus tard, crevant de faim sur un trottoir ou sur un lit d’hôpital, qu’est ce que cela pouvait me foutre ? J’étais un jeune écrivain et je me sentais des ailes.
Quelque part sur le chemin je savais qu’il y aurait des filles, des visions, tout, quoi ; quelque part sur le chemin on me tendrait la perle rare. »

QUELQUES HAÏKUS DE KEROUAC
In the morning frost the catsStep slowly.
( Dans le givre du matin des chats
Avancent lentement. )
Winking over his pipe the Buddha lumberjacknowhere.
( Clin d'œil par-dessus sa pipe le bûcheron Bouddha nulle part. )

All day long wearing a hatthat wasn't on my head.

(Toute la journée J'ai porté un chapeauqui n'était pas sur ma tête. )

In my medicine cabinet the winter flyhas died of old age.

( Dans mon armoire à pharmacie la mouche d'hiver est morte de vieillesse.)

Kerouac – «Non, d'abord un haïku est meilleur lorsqu'il est retravaillé et révisé. Je le sais, j'ai essayé. Il doit être totalement économique, pas de feuillage, ni de fleurs et de langue rythmée, ce doit être une simple petite image en trois vers. C'est en tout cas la manière dont les maîtres anciens le pratiquaient, passant des mois sur trois vers pour arriver, disons à:
Sur le bateau abandonné
la grêle
rebondit ça et là
C'est de Shiki.»
Berrigan – «Comment écrivez-vous un haïku?»
Kerouac – «Un haïku? Vous voulez entendre un haïku? Voyez-vous, on doit compresser en trois vers courts une très longue histoire. On commence d'abord par une situation de haïku. Ainsi, on voit une feuille tomber sur le dos d'un moineau durant une grosse tempête d'octobre. Une grosse feuille tombe sur le dos d'un petit moineau. Comment allez-vous compresser cela en trois vers? En japonais, on doit compresser ça en dix-sept syllabes. On n'est pas obligé de le faire en américain ou en anglais parce qu'on n'a pas la même merde syllabique que la langue japonaise. Alors on dit: Petit moineau – on n'est pas obligé de dire petit – tout le monde sait qu'un moineau est petit... Alors on dit:
Un moineau
avec une grosse feuille sur le dos
tempêteNon c'est pas bon, ça ne marche pas, je le rejette:
Un petit moineau
Quand une feuille d'automne soudain se colle à son dos
Provenant du ventAh, voilà. Non, c'est un petit peu trop long. Vous voyez? C'est déjà un petit peu trop long, Berrigan, vous voyez ce que je veux dire?»
Berrigan – «Il semble qu'il y ait un mot en trop ou quelque chose comme quand. Et si on enlevait quand et disait:
Un moineau
une feuille d'automne soudain se colle à son dos
avec le ventKerouac – «Hé, c'est bien. Je crois que quand était le mot en trop. Vous avez eu une bonne idée là, O'Hara! Un moineau, une feuille d'automne soudain – On n'a pas besoin de dire soudain, n'est-ce pas?
Un moineau
une feuille d'automne se colle à son dos
avec le vent
Extrait d'un long entretien publié en 1969 dans la revue The Art of Fiction, l'essentiel de l'approche du réel par le haïku.

14/08/2005

Ma part d'ombre

Roman autobiographique de James Ellroy écrit en 1996.
INCIPTIT :
« Ce sont des gamins qui l’ont trouvée.Des joueurs de base-ball, Division Babe Ruth, de sortie pour taper quelques balles. Trois entraineurs adultes marchaient derrière eux.Les gamins ont vu une forme dans la bande de lierre juste en bordure du trottoir. Les hommes ont vu des perles éparpillées sur la chaussée. Une petite décharge télépathique est passée des uns aux autres.Clyde Warner et Dick Ginnold ont fait battre en retraite la troupe de gamins-pour les empêcher d’y regarder de trop près. Kendall Nungesser a traversé Tyler avenue au pas de course et repéré une cabine téléphonique près de la crèmerie.Il a appelé le bureau du shérif de Temple City et annoncé au sergent de jour qu’il avait découvert un corps. Qui était juste là sur la route, à côté du terrain de jeux ‘Arroyo High School, le lycée Arroyo. Le sergent a dit : restez sur place te ne touchez à rien.L’appel radio a été lancé : 10h10, dimanche,22/6/58. Cadavre à King’s Row et Tyler Avenue, El Monte.Une voiture de patrouille du shérif est arrivée sur les lieux en moins de 5 minutes. Une unité des services de police d’El Monte a débarqué quelques secondes plus tard.L’adjoint Vie Cavallero a regroupé entraîneurs et gamins. L’agent Dave ire est allé inspecter le corps.C’était une femme de race blanche. Elle avait la peau claire et les cheveux roux. Elle avait environ quarante ans. Elle gisait étendue sur le dos, sur un talus couvert de lierre à quelques centimètres du bord du trottoir de King’s row.Son bras droit était replié vers le haut. Sa main droite reposait à quelques centimètres au –dessus de sa tête. Son bras gauche était plié au coude et posé sur son bassin. Sa main gauche était serrée. Ses jambes étaient écartées.Elle portait une robe bleu foncé, légère, sans manches, au décolleté arrondi. Un manteau bleu foncé avec doublure assortie était étendu sur la partie inférieure du corps.Ses pieds et ses chevilles étaient visibles. Son pied droit était nu. Un bas nylon était entortillé autour de la cheville gauche.Sa robe était en désordre. Des morsures d’insectes lui couvraient le bras. Son visage était meurtri et sa langue sortait de sa bouche. Son soutien-gorge était défait et remonté au-dessus des seins. Un bas en nylon et une corde à linge en coton étaient noués autour de son cou. Les deux ligatures serrées mordaient les chairs en profondeur. » Victimologie
« La victime Ellroy était une femme de race blanche, âgée de quarante trois ans, un mètre soixante trois et demi pour un poids approximatif de cinquante huit kilos, à la chevelure rousse. Elle était divorcée et avait emménagé avec son fils mineur, dans une maison de location bien tenue d’El Monte, Californie, en 1958. Elle était employée comme infirmière d’entreprise à Los Angeles depuis 1956. La victime Ellroy était physiquement séduisante et aimait fréquenter les boîtes de nuit proches, lors des week-end, tandis que son fils rendait visite à son père. Ses propriétaires ont décrit Ellroy comme une locataire tranquille qui semblait aimer sa vie solitaire avec son fils. On l’a décrite comme peu loquace quant à sa vie personnelle et ayant peu d’amis intimes. Après sa mort, ses propriétaires ont signalé la découverte de bouteilles d’alcool vides, dans les buissons près du domicile de a victime et dans le conteneur à ordure.Les propriétaires d’Ellroy ont déclaré avoir vu cette dernière quitter sa résidence au volant de sa voiture, aux environs de 20 heures, le samedi 21 juin 1958. De témoins ont déclaré avoir vu Ellroy plus tard pendant cette soirée en compagnie d’un adulte non identifié de sexe masculin, dans un restaurant drive-in aux environs de 22heures ; dans une boîte de nuit-dancing aux environs de 22h45 ; et finalement de retour au restaurant drive-in aux environs de 2h15 le lendemain matin... »
C’est ainsi que le cadavre de Jean (diminutif de Geneva) Ellroy fut découvert. Divorcée elle vivait avec son fils de 10ans. Elle travaillait comme infirmière d’entreprise, une femme apparemment sans histoire.
Le petit garçon, James Ellroy reçoit la nouvelle sans aucune émotion…il faut dire que depuis le divorce même s’il vivait 5 jours sur 7 avec sa mère, son père travaillait dur pour lui mettre de mauvaises idées dans la tête : « ta mère est une ivrogne et une putain ». Le petit avait surpris sa mère à deux reprises avec des hommes et son haleine de whisky à l’eau corroborait les dires du père. Par conséquent le petit Ellroy reçoit la nouvelle avec un soulagement extrême tellement il avait fini par détester sa mère. Il est confié à son père. Livré à lui même il fera un peu n’importe quoi, et cela va aller de mal en pis…
James Ellroy durant son adolescence et sa jeune vie d’adulte va faire une descente aux enfers, alcoolique et drogué il ère entre visions érotiques de sa mère et cambriolages. Vers l’âge de 50 ans, sevré de ces démons là et devenu un écrivain reconnu, James Ellroy tente avec l’aide d’un flic à la retraite de rouvrir le dossier de sa mère afin de redécouvrir celle qu’il a tant aimé haïr.
Ma part d’ombre est un récit autobiographique relativement dur, une plaie ouverte dans laquelle Ellroy nous permet de mettre le nez. Mais c’est aussi un horrible tableau des meurtres de femmes en Amérique que nous dépeint James Ellroy.

04/04/2005

I like America and America likes me












Performance de Joseph Beuys (1921-1986).
Beuys veut son œuvre sociale, il déclare que tout homme est un artiste, dans le sens où tout homme est susceptible de créer. Il participe au mouvement Fluxus qui doit son appellation à une phrase d’Héraclite qui consiste à dire que « toute existence passe par le flux de la création et de la destruction », pour Beuys l’acte est pour l’art, l’art c’est l’acte ! Très engagé socialement son œuvre sera ponctuée « d’interventions » écologiques. Avec « I like America and America likes me », (1974) il arrive en ambulance, enveloppé dans une couverture de feutre, et s’expose à la Galerie René Block à New Yorkn, enfermé avec un coyote sauvage, une canne et sa couverture pour se protéger, pour souligner l'antagonisme entre Nature et Technologie, Nature et Culture, Art et Science.

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